L’impact du Covid-19 sur nos habitudes alimentaires

Vaste sujet déjà largement débattu, cet article se veut être une synthèse partielle de l’évolution de nos habitudes alimentaires et de quelques pistes de réflexions avant et après confinement.

En 2017, une enquête, menée par Incidences, mandatée par FISA, annonce que la majorité des belges font toujours, ou le plus souvent, leurs achats en grandes surfaces contre un minorité dans les commerces locaux.

Cette étude précise encore que seulement « 1 belge sur 5 considère (…) comme important de consommer local (…). Cette tendance est plus élevée en Wallonie, pour qui 29% de ses habitants considèrent qu’il est important de consommer des produits belges ou locaux ».

Cette réalité a été d’autant plus évidente lorsqu’à la veille du confinement, « des foules ont été observées dans les supermarchés à la suite de la communication du gouvernement ». Les grandes surfaces ont été prises d’assaut.

Une étude plus récente, datant de mai 2020 (pendant le confinement), indique cependant qu’à cette période au moins la moitié des personnes interrogées souhaitaient changer leur mode de consommation et que la plupart disposaient de plus de temps pour le faire. De plus, selon un sondage réalisé par Fairtrade Belgium, également pendant le confinement, près de la moitié des belges renseignaient vouloir faire davantage attention à la provenance des produits de leur alimentation, et donc privilégier de facto les circuits courts.

Après une période de flottement, entre panique et résignation, il semble à présent que la nourriture ait récupéré sa valeur vitale. En effet, la pandémie de coronavirus, zoonose née de l’ingestion d’un animal, est en lien direct avec l’alimentation. Quoi de plus normal, dès lors, que de se replier sur une alimentation qui nous fait du bien à l’intérieur, à l’extérieur et par extension qui fait du bien à la planète également ?

Selon Yuna Chiffoleau, sociologue et spécialiste du circuit court, chaque crise sanitaire a ramené de nouveaux consommateurs en circuits courts : la vache folle, la grippe aviaire, et il semblerait que ceux qui s’en sortent le mieux soient ceux qui se sont diversifiés et ceux qui ont innové.

La valeur vitale de l’alimentation pour le consommateur

Pour mieux comprendre ce retour sur soi, Alexandra Balikdjian nous informe sur nos comportements en lien avec cette période anxiogène. Le premier pas est souvent de se recentrer vers ce qui nous donne le plus confiance (lien avec l’alimentation très affectif et aussi très intime). On veut se faire du bien de l’intérieur pour se rassurer, mais également pour se soigner ou encore pour renforcer nos défenses immunitaires. Et le confinement nous a donné le temps de réfléchir… Eric Birlouez, sociologue de l’alimentation, explique, sur France Culture, que « tout à coup, la dimension humaine de l’ensemble de la chaîne alimentaire nous est réapparue ». Quel que soit ce radis, il a été cultivé par quelqu’un… La valeur humaine s’est dégagée très fortement et on s’est rendu compte que cette chaîne comportait des métiers insoupçonnés ! Il n’y a plus eu de farine dans les grandes surfaces non parce qu’il n’en existait plus physiquement, mais parce que les ensacheurs étaient à l’arrêt, ainsi que les transporteurs. On s’est donc aperçu de la diversité des métiers de l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Une autre dimension est la valeur économique de l’alimentation. Alors qu’avant, un ménage dépensait 40% de son salaire dans l’achat de denrées, maintenant, il n’en dépense plus que 13%. Certains ont pu se tourner vers de meilleurs produits parce qu’ils ont épargné sur d’autres postes. Toutefois, pour d’autres, la fracture alimentaire s’est creusée. Alors que quelques-uns se sont tournés vers une alimentation plus locale voire bio, d’autres ont souffert de l’arrêt des cantines de collectivités et/ou de la perte de leur emploi.

La valeur économique n’est toutefois pas à prendre en compte uniquement d’un point de vue consommateurs, mais également d’un point de vue producteurs.

Et les producteurs ?

Ainsi, Inter-Environnement-Wallonie indiquait, début avril 2020, que « les conséquences du confinement sont déjà là : pénurie de main d’œuvre saisonnière, angoisse des consommateurs qui vident les supermarchés, augmentation du prix de certaines denrées, ruées vers les filières locales, secteur agroalimentaire et export en berne ». A ce moment, on se demandait si le système allait tenir le coup.

En effet, il y a une multiplicité de risques identifiés concernant les producteurs :

  • Des incertitudes liées à la disponibilité de nourriture peuvent provoquer des restrictions à l’exportation, provoquant ainsi des pénuries au niveau mondial ;
  • Ce risque provoque la panique et l’augmentation des prix ;
  • Les chaînes d’écoulement habituelles ne sont plus disponibles, on assiste alors à une potentielle perte des récoltes (les pommes de terre, par exemple, suite à l’arrêt des exports, des usines de transformation, de la restauration et des baraques à frites incontournables aux événements d’été) ;
  • Les travailleurs saisonniers ne sont plus disponibles, ce qui est un danger pour les récoltes ;
  • Les semis doivent être prévus maintenant en fonction de la demande. Les maraîchers chez qui la population s’est massivement rendue pendant le confinement doivent-il augmenter leur production au risque de pertes si nos comportements ne se stabilisent pas dans le futur ?
  •  

Un mot est fréquemment revenu dans les médias, c’est la résilience, qui est selon le Larousse, l’aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques.

« La crise économique, sociale et sanitaire que nous vivons actuellement nous rappelle une fois de plus la fragilité d’un système de production mondialisé et l’urgence de renforcer notre résilience, qui passe notamment par la relocalisation de nos activités de production, notamment alimentaires »

En résumé, cette crise va-t-elle changer notre stade d’évolution de changements de nos comportements ou le soufflé va-t-il retomber à l’instar de certaines résolutions du Nouvel-An ?

Pour une relance durable après-crise

Dans ce sens, plusieurs initiatives concordantes et complémentaires ont vu le jour.

Ainsi, un collectif de 15 signataires appelle à la mise en place d’une task force interfédérale chargée de veiller à la sécurité d’un approvisionnement alimentaire accessible à tous et de préparer une politique de résilience alimentaire du pays. Un de ses objectifs sera de prévoir un plan de déploiement d’urgence d’une souveraineté alimentaire équitable et solidaire au cas où les échanges internationaux ne suffiraient plus à assurer l’alimentation des belges.

Un autre document complémentaire (Anticiper une crise alimentaire ‘Résilience et souveraineté alimentaire’ : propositions coordonnées par Corentin Hecquet, Sébastien Gillotin et Arnaud Deflorenne) identifie des leviers d’un après-crise renforçant la résilience alimentaire aux différentes échelles du pouvoir : local, régional, fédéral/européen selon la nature de ces leviers : approvisionnement et logistique, production citoyenne, réserves, transformations, orientation de la production agricole vers une production alimentaire locale, recherche, pédagogie/sensibilisation, …

Le troisième document, sans doute le plus médiatisé, est le Plan Sophia dont l’objectif est d’« enclencher immédiatement la transition vers une économie durable, pour éviter de nouvelles crises systémiques qui seraient inévitables si la relance se faisant à l’identique ».

Comment la situation évolue-t-elle avec la reprise partielle du travail ?

Malheureusement, plusieurs sources font état d’un relatif « retour à la normale » : ainsi à la ferme du Champia, « c’était la course durant le confinement pour répondre aux nombreux clients. Les ventes avaient triplé, mais aujourd’hui le petit magasin est vide ». Nathalie Puissant, l’agricultrice-maraîchère, a moins de clients que sur la même période durant une année normale. En effet, pendant le confinement, les magasins devaient limiter le nombre de clients. Cette mesure occasionnait des files d’attente longues, parfois d’une heure, devant son enseigne. Ce sont ces files qui ont fait fuir ses clients fidèles. Selon elle : « Nous sommes à une période où nous avons beaucoup de légumes, mais c’est vraiment très calme dans le magasin. On a perdu des clients fidèles qui croient que les files sont encore là alors que ce n’est plus le cas ».

C’est regrettable que « dans le monde d’après, les produits des circuits courts ne font plus recette » !

Mais le monde d’après est encore en construction et en cours d’écriture, nous pouvons y prendre une part active !

Manger Demain